C’est rare, mais s’en est que d’avantage appréciable, qu'elle parte ainsi en territoire ennemi à pieds. Un peton devant, ondulation d’une hanche. Puis l’autre peton, ondulation de l’autre hanche. Et on continue ainsi, précieuse créature, à gigoter dans ses jupons en avançant, légèrement potiche dans ce corsage beige qui l’enserre comme une femme pirate du 19ème siècle.
Et avec une telle robe, comment l’éviter du regard .. ? Les jupons s’enchaînent, se surplombent, se chevauchent, fusionnent. Rouge, noire, orange, le jaune plus timide, les couleurs des tissus se veulent criards, bien que la Dame ne reflète aucune exubérance, juste une certaine prétention palpable.
Oeillade à gauche, puis a droite, dans la ruelle. Enfin, on continue la marche qui froisse et actionne l’aspect musical des jupes, une sorte de froufrou macabre et agaçant, un claquement de talons continu qui procurent une sensation réconfortante de rythme à la porteuse.
L’œil turquoise, strié d’argent, d’écume et de ciel. Ils sont verts et bleus, donc ses opales… Une orchidée se trouvera plantée dans son épaisse chevelure noire remontée au dessus du crâne par une pince couleur miel en forme de papillon. Elle ajuste légèrement celle-ci, frotte un pan de tissu pour en retirer une quelconque poudre invisible et pénètre dans le bar. Elle voudrait bien pouvoir lui vendre quelques plantes pour décorer les coins de pièces, de couloirs.
Avec un sourire charmeur, hypocrite, délicieusement blanc, le visage pâle, les pommettes rosées, un air franc et jovial, sérieux et mature, elle se révèle là Dame et parfaite, Minérale. En elle, elle ne désire qu’une chose, sortir de cet endroit empuantit de souvenirs de son ancien lieu de travail. Le sourire Colgate© toujours pendu aux lèvres, elle s’approche du comptoir.
_ Bonjour ! Nainië Florales, je suis la fleuriste de la rue Harisson.
_ Bonjour, en quoi puis je vous aider ?
L’air pataud, le barmen dévisage notre protagoniste.
_ Je prendrais un Bloody Mary s’il vous plaît. Avec une assiette d’olives… Comment ? Ah, oui, des olives vertes !
Papillonnement de paupières, elle feint d’être émerveillée par l’endroit en se retournant quelque peut, titillant comme par habitude un lacet de son corsage.
_ Mais c’est charmant chez vous ! Ces murs aux tapisseries orientales sont divines. Et cette idée de faire des box pour y caser des tables rondes et des petits pouf c’est très original, c’est très indien ! Mh, ce n’est pas pour faire ma rabat joie, mais c’est charmant chez vous.
_ Merci Madame !
Et hop, nouveau sourire Colgate© en direction du barmen et une main passée dans les cheveux, défaisant la pince, puis secouant la tête pour en déployer la cascade noire. Enfin, elle rattache le tout, et y plante l’orchidée. L’effet est immédiat, il la dévisage. Intérieurement, elle fulmine de devoir se vendre ainsi, et ne veut qu’une chose, refermer les pétales de ses jupes sur elle-même et ne s’ouvrir que la nuit. Mais bon, le manque de client…
_ Mais ! Petite main qui se pose sur sa propre joue rose. Vous n’avez pas de plantes ! Savez vous qu’en orient, les plantes c’est la vie mon cher !
_ C’est vrai que nous sommes plutôt pauvres en tout s’qu’est, comme vous dites Madame, plantes. Mais le budget vous savez…
_ Oui, je sais plus que bien ! Bon, prenez quand même ma carte, remettez là à votre supérieur, moi je vais m’installer !
Et dandinant du derrière, marchant avec une élégance sensuelle et un charme à en faire fondre une statue grecque, elle ondule jusqu’à un pouf et déploie avec beauté les jupes pour s’installer, le Bloody Mary en main. Elle sortira de son sac à main un petit ouvrage qu’elle commencera à lire. Si elle vient souvent, ils se dérideront ces termites à fric. Elle observe tout de même, histoire que personne ne vienne la voir.